C’est un exercice bien difficile que de relater objectivement ma vie auprès de mon père. Personne d’autre ne pouvant néanmoins le faire je vais donc m’y risquer avec les réserves d’usage, car je suis partie prenante.
Jusqu’à l’âge de 17 ans, j’ai d’excellents souvenirs de ma vie avec mes parents. Ils m’ont aimé sincèrement et profondément, et ce fut réciproque. Par ailleurs, ils ont effectivement assumé tous mes besoins avec attention, ils ont sévis justement les rares fois où j’ai pu faire un écart. Je fus toutefois un enfant plutôt sage, introverti et solitaire, moi aussi. Donc, c’est certain, un enfant qui posait un minimum de problèmes de discipline.
Dès l’âge de 5 ans j’eu cependant des problèmes pulmonaires à répétition qui les inquiétèrent très fortement. J’eu une congestion pulmonaire vers 2 ou 3 ans qui passa inaperçue dans ce contexte mais dont les traces furent détectées bien après. Au point qu’à l’âge de 6 ans, pour mon entrée à l’école communale, je ne fis que 3 mois de présence en classe, par petits bouts de quelques semaines, de toute l’année scolaire. Je passais le reste de l’année dans mon lit ou à l’hôpital des Enfants Malades, à Paris. Le redoublement scolaire fut inévitable. L’année suivante fut un peu moins pénible et je réussis à ne pas redoubler encore, mais de justesse.
Je fus régulièrement envoyé en colonies sanitaires en été, à l’autre bout de la France, qui ne me soignèrent pas du tout mais me privèrent cruellement de ma mère pendant plusieurs mois, à un âge où l’on en a tellement besoin. Je m’en souviens encore très péniblement. Ces durables séparations furent également très pénibles pour ma mère que je voyais repartir en pleurant à chaudes larmes, lors des courtes visites qu’elle me faisait, après avoir traversé toute la France en train de nuit, 2 nuits de suite. Perrin, la Bourboule, etc.
La bronchite s’atténua progressivement les années suivantes, pour se transformer en asthme mais je manquais très souvent la classe, encore, pour la même raison. Ne pouvant rien faire d’autre, je lus énormément de livres sur mon lit : notamment tout Jules Vernes, avant l’entrée en 6ième.
Pourtant je réussis le concours d’entrée en 6ième facilement, puis eu une scolarité adaptée à mes aptitudes manuelles, plus évidentes (comme Henri).
Très sagement mon père m’orientera donc vers la filière technique où je pus réussir le meilleur de ce que le collège Lavoisier offrait alors: intégrer les Arts et Métiers, école nationale d’ingénieurs d’état. Il en intégrait alors seulement 2 ou 3 à chaque année scolaire de ce collège Lavoisier, à Paris.
Mon père découvrit très tôt que j’étais, moi aussi, très doué pour le travail manuel. Il favorisa donc ce penchant par le choix des jouets adaptés, mais, malgré ce penchant commun, il ne fit jamais rien avec moi.
J’étais couvé à mon insu, uniquement par ma mère. Par exemple il ne m’était jamais permis d’aller jouer chez les autres, ou de faire venir des copains chez moi. Même pas pour la moindre fête ou anniversaire. Je dois dire que je n’en souffrais pas, juste un peu d’envie des copains qui, eux, avaient cette latitude .
En vacances avec mes parents, ou avec ma mère, j’étais emmené systématiquement en visite dans la famille charentaise, trainé partout. La plupart du temps le seul enfant, je m’y ennuyais ferme (sauf à St Just)….
Heureusement que ma mère travaillait et mon père aussi, en été, donc j’allais enfin à St Sornin chez ma grand-mère Génie, puis chez l’autre grand-mère Lucie, mais seul : la liberté !
Vers l’âge de 17 ans, les choses changèrent totalement : je commençais à avoir des amis et, un peu plus tard, des amies. Là, je sentis immédiatement l’opposition très vive de ma mère, très mollement soutenue par mon père.
Alors les choses ne firent qu’empirer un peu plus chaque année, car je ne me soumis jamais, je fis même une fugue de plusieurs jours vers 18 ou 19 ans. A partir de cette rébellion mémorable la pression maternelle s’amoindrit mais sa réprobation verbale devint permanente, pour toutes mes sorties. Sommé de prendre position, devant tous, mon père finissait toujours par donner raison à sa femme.
Les 4 ans d’internat eurent au moins pour avantage de m’éloigner de la pression de ma mère. Le mariage fut donc pour moi une libération durable, un véritable soulagement, en même temps que le très heureux aboutissement de longues fiançailles officieuses de 4 ans.
Naturellement c’est moi qui décida de la date du mariage et du lieu : le lendemain même de mon dernier jour d’école, en région parisienne. Mes parents n’y invitèrent presque personne de notre si nombreuse famille charentaise : une seule cousine germaine.
Pour faire court, il me fallut environ 5 à 7 ans pour réaliser très progressivement que ma mère était extrêmement possessive. Quand on est encore enfant, on est inconscient de cela, on ne peut pas couper soi-même ce cordon-là: on en est prisonnier depuis si longtemps. Au terme de cette bien longue période de prise de conscience, mes relations avec mes parents se trouvèrent progressivement évoluer vers une position située à l’opposé de celle du point de départ
J’ai ainsi « perdu » mes parents petit à petit, bien avant leur disparition physique. Il est paradoxal de savoir que, pourtant, leur constant amour pour moi en a été l’unique moteur destructeur. Mais un amour possessif, insupportable, exercé par ma mère et soutenu par mon père.
Dès lors nos relations ne furent plus que des compromis visant à subir un minimum de contrariétés, tout en maintenant, tant bien que mal, des relations tendues avec mes parents. Nous laissons le plus souvent alors nos enfants sur place pour quelques semaines, quand les congés scolaires s’y prêtent. A l’époque, les enfants s’y plaisent vraiment.
A la fin de leur vie commune, Henri et Gisèle furent quasi sédentaires à Bourcefranc, alors que Marie France et moi habitions Paris. Cet éloignement géographique fut, finalement et paradoxalement, plutôt protecteur pour nos relations :
On ne se voyait que rarement et pour quelques jours seulement, au maximum 4 ou 5.